Politique de droite : 37 % des électeurs français se décrivent comme « conservateurs » selon l’Ifop 2023, pourtant leurs attentes restent floues. À six mois des élections européennes, la droite rebat ses cartes : 54 listes possibles, trois chefs de file qui se disputent le même électorat et un Parlement européen qu’elle rêve de reconquérir. Pas de panique, on décrypte les programmes, les forces en présence et les dessous stratégiques. Spoiler : les surprises viennent souvent de là où on ne les attend pas.
Les trois grands piliers du programme de la droite en 2024
La droite républicaine se structure autour de trois axes clés, confirmés fin janvier 2024 lors du Conseil national des Républicains à Saint-Étienne.
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Souveraineté économique
- Relocaliser 15 % de la production industrielle d’ici 2030.
- Abaisser le taux d’impôt sur les sociétés à 20 % pour les PME (contre 25 % actuellement).
- Créer un « Buy European Act » inspiré du dispositif américain (IRA de 2022).
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Autorité et sécurité
- Construction de 20 000 places de prison supplémentaires d’ici 2027.
- Instauration d’une « peine de sûreté » minimale de 30 ans pour les crimes terroristes.
- Doublement des effectifs de la police municipale, avec un fonds dédié d’un milliard d’euros.
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Identité culturelle
- Rétablissement des heures de latin au collège (+30 minutes hebdo).
- Conditionner l’accès aux allocations familiales à cinq ans de présence régulière sur le territoire.
- Instauration de quotas migratoires votés chaque année par le Parlement.
Ces mesures, portées tour à tour par Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Aurélien Pradié, s’accompagnent d’un vocabulaire volontiers gaullien : « indépendance », « ordre », « transmission ». Les mots comptent, surtout quand on vise la base électorale âgée de 50 ans et plus, encore majoritairement fidèle aux valeurs conservatrices.
D’un côté l’économie, de l’autre la culture
Les chiffres parlent : selon l’Insee (édition 2024), le pouvoir d’achat moyen a reculé de 0,6 % en 2023. La droite capitalise sur ce mécontentement, mais l’équation est complexe. D’un côté, il faut séduire les entrepreneurs avec moins d’impôts, de l’autre il faut nourrir le besoin d’identité culturelle des classes moyennes. Le risque ? Se retrouver coincé entre un RN plus protectionniste et une majorité présidentielle qui se veut « ni gauche ni droite ».
Pourquoi la droite peine-t-elle à s’unir ?
Question brûlante : « Pourquoi la droite française n’arrive-t-elle pas à faire front commun ? » La réponse tient en trois lettres : RN. Depuis les 41,5 % obtenus par Marine Le Pen au second tour de la présidentielle 2022, chaque parti de droite redoute le siphonnage de voix.
- Les Républicains refusent l’alliance par crainte d’une « dédiabolisation » trop coûteuse symboliquement.
- Reconquête!, emmené par Éric Zemmour, mise sur une ligne plus droitière encore, au risque d’apparaître marginal.
- Le RN, désormais premier parti d’opposition à l’Assemblée (88 députés), avance un discours social que les libéraux jugent « incompatible » avec la rigueur budgétaire.
Résultat : trois droites, trois rhétoriques, un seul électeur de droite sur deux qui se dit « perdu » (sondage CSA, avril 2024).
Comment le Parti populaire européen observe Paris
À Bruxelles, le Parti populaire européen (PPE) s’inquiète. La France est la seule grande nation où le parti « cœur de droite » pourrait passer sous les 10 % le 9 juin 2024. Manfred Weber (président du PPE) l’a dit en février devant la presse allemande : « Nous avons besoin d’une droite française forte pour contrer l’extrême droite ». Traduction libre : sans union, pas de majorité stable au Parlement européen, ni d’alternative crédible au tandem socialistes/libéraux.
Qu’est-ce que la « droite sociale » portée par les nouveaux visages ?
Place aux jeunes loups ! Derrière les figures historiques, une génération née dans les années 1980 s’impose :
- Guilhem Carayon (31 ans), député du Tarn, défend un capitalisme familial et la participation des salariés.
- Sarah El Haïry (34 ans), ex-secrétaire d’État, plaide pour un environnement « compatibilisé » avec la croissance.
- François-Xavier Bellamy (38 ans), chef de file LR au Parlement européen, rappelle Tocqueville pour justifier la subsidiarité.
Leur credo : réconcilier la droite sociale (infrastructure, cohésion territoriale) et le libéralisme ordonné. Anecdote croustillante : en novembre 2023, lors d’un débat à Sciences Po, Bellamy a cité Jane Austen pour expliquer l’importance des « vertus domestiques »… de quoi décoiffer la salle.
Vers un tournant « vert et conservateur » ?
C’est la nouveauté 2024 : 27 % des sympathisants LR placent l’écologie au top 3 de leurs priorités (Ifop, janvier). On voit donc fleurir l’idée de « conservatisme environnemental » : préserver les paysages ruraux, relocaliser l’agriculture, investir dans le nucléaire (18 milliards d’euros annoncés pour six nouveaux EPR). Ironie de l’histoire : ce pivot vert reconnecte la droite à… l’esprit de la loi de 1960 sur les parcs nationaux signée par Michel Debré.
Programme de la droite 2024 : quelles chances électorales ?
La grande question reste la traduction des idées en urnes. Derniers sondages Harris Interactive (mars 2024) :
- RN : 28 %
- Renaissance et alliés : 23 %
- LR : 9 %
- Reconquête! : 6 %
Si les Républicains et Reconquête! s’additionnaient, la droite retrouverait 15 %, soit le score de François Fillon en 2017. Mais le diable est dans la stratégie : Éric Ciotti craint un exode des élus locaux si l’accord avec le RN se formalise. À droite, on se souvient du front républicain de 2002 comme on se rappelle d’un vieux tube de Johnny : emballant… mais daté.
Petit rappel historique : la droite française n’a plus gagné une présidentielle depuis 2007 (Nicolas Sarkozy). Depuis lors, elle survivote grâce aux municipales (la mairie de Nice, de Troyes, de Chalon…) et au Sénat. Ce bastion territorial pourrait se fissurer en 2026 si les villes moyennes basculent, d’où la course actuelle aux problématiques de ruralité (transports, désert médical, couverture 5G).
Le casse-tête budgétaire
Dernier obstacle : le financement. Réduire les impôts tout en augmentant les dépenses de sécurité représente un delta de 18 milliards d’euros, calculé par l’Institut Montaigne en février 2024. Sans croissance supérieure à 2 %, la promesse relève du Rubik’s Cube fiscal. Un conseiller Bercy (anonymat requis) glisse : « C’est tenable si on revoit les niches sociales, un totem intouchable depuis le quinquennat Chirac ». Avis aux amateurs de bricolage budgétaire.
Vous voilà armés pour décoder l’univers, forcément mouvant, des conservateurs français. Les prochains mois promettent des rebondissements, à la House of Cards mais version cocorico. Gardez l’œil sur les nuances vertes, les alliances européennes et les jeunes pousses qui secouent les vieilles branches. Et entre deux sondages, n’hésitez pas à me souffler vos interrogations : la discussion reste ouverte, la politique n’étant passionnante que lorsqu’elle se partage autour d’un café… ou d’un bon vieux débat enflammé.

